Discours de Jean-Christophe Bourgeois, Président de de l’Association Tous Pour La Musique – vendredi 09 février 2024.
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président des Victoires de la musique,
Monsieur le Président du CNM,
Chers Consœurs, Chers Confrères et Amis,
C’est avec un immense plaisir que nous nous retrouvons ce soir, à l’occasion de ces 39e Victoires, pour célébrer ensemble la musique et celles et ceux qui la font.
Au nom de Tous Pour La Musique, je vous souhaite la bienvenue dans ce désormais traditionnel « Before ». TPLM est une association qui représente tous les métiers de la musique en France, dans tous les répertoires. Réunissant 28 organisations (organismes de gestion collective, syndicats, organisations professionnelles, etc.), elle illustre ainsi la grande interdépendance de notre écosystème et sa volonté de porter une parole commune.
Cette cérémonie des Victoires nous permet de célébrer le travail de l’ombre de multiples métiers (auteurs, compositeurs, musiciens, managers, tourneurs, producteurs, éditeurs…). Je me réjouis qu’elle nous donne également l’occasion de parler d’une seule voix, malgré les divergences profondes qui ont traversé notre secteur au cours de la période récente. Dans le monde fracturé qui est le nôtre, où les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, où de trop nombreux pays remettent en cause les libertés fondamentales ou l’accès à la culture, nous sommes conscients de notre chance et nous nous réunissons pour défendre les enjeux de nos secteurs au service de la Musique, première pratique culturelle des Français. Cette Musique qui renforce le lien social, adoucit les épreuves, rapproche les âges, les sexes, les opinions et les cultures, à un moment où seuls 34% des Français nous disent que ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les divise. Nous saurons montrer l’exemple et relever collectivement les nombreux défis qui, une fois encore, nous font face.
Un mot est ainsi sur toutes les lèvres depuis plusieurs mois : l’intelligence artificielle. Véritable révolution industrielle en cours dans tous les domaines et tous les secteurs économiques, elle constitue une vague qui nous emporte tous, ouvrant de nouvelles voies pour la création musicale, la production et la diffusion des œuvres. Tout en embrassant ces avancées, nous devons veiller à ce que la technologie enrichisse notre culture sans compromettre la valeur des créations humaines ni remettre en cause leur modèle de rémunération. La collaboration entre artistes et IA doit refléter notre engagement en faveur de l’innovation, tout en préservant le supplément d’âme qui réside dans chaque projet culturel.
Dans un monde qui se transforme et où les usages évoluent chaque jour un peu plus vite, nous devons assumer les responsabilités qui sont les nôtres, et notamment en matière de transition écologique. D’ores et déjà, nous travaillons ensemble à bien comprendre nos postes de dépenses énergétiques pour mieux les réduire, et à adopter des pratiques durables, pour ce qui concerne la mobilité des publics, des artistes ou des œuvres.
Par ailleurs, dans la droite ligne de nos engagements en faveur d’une République de la Musique lors de la dernière campagne présidentielle, nous œuvrons pour que la musique soit partout et pour tous. Elle ne doit pas être un privilège – ni géographique, ni social – qu’il s’agisse de la pratiquer ou d’en être les auditeurs.
Sa pratique doit être facilitée par des initiatives concrètes garantissant que chaque citoyen, quel que soit son âge ou son origine, puisse découvrir, apprendre et s’épanouir à travers la musique :
Nous nous réjouissons ainsi, Madame la Ministre, que vous vous préoccupiez de l’accessibilité des conservatoires. Au-delà, nous attendons également une impulsion politique pour la généralisation de la pratique musicale pour tous les enfants scolarisés, pratique dont les bienfaits sont aujourd’hui prouvés.
Nous nous préoccupons également plus que jamais de l’accès à la musique dans les territoires : nous soutenons ainsi la création d’un programme « Musique du quart d’heure » visant à lutter contre les déserts musicaux. D’ores et déjà, l’accès aux services de musique en ligne et l’offre de CD et de vinyles dans les enseignes physiques, y compris dans les grandes surfaces alimentaires qui sont parfois le seul accès à des produits culturels en zone rurale, constituent une chance et doivent être encouragés de toutes les manières possibles. Par ailleurs, entre le tissu, certes encore incomplet, des orchestres régionaux ou le soutien aux spectacles musicaux organisés par les acteurs associatifs en zone rurale, le ministère possède déjà des outils qui méritent d’être développés et complétés afin de garantir que la musique soit une source de cohésion sociale, accessible à tous, partout. Vous l’avez compris, nous nous engageons donc pleinement dans les travaux du Printemps de la ruralité que vous venez de lancer.
De surcroît, la défense de l’exception culturelle française et le rayonnement de la création, dans toute sa diversité, sont essentiels. Cela ne pourra se concrétiser sans une pérennisation de la rémunération pour copie privée, qui constitue un levier majeur de promotion de l’émergence, la diversité, l’éducation artistique et la diffusion des œuvres en tous lieux en France et au-delà. Et ce d’autant que les aides à la création apportées par les organismes de gestion collective de droits voisins se sont dégradées à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire RAAP.
Le rayonnement de la création française et la défense de notre souveraineté culturelle passent également par un soutien accru à l’export de nos artistes, notamment par le biais du Centre national de la musique, qui doit en faire l’une de ses missions prioritaires.
Dans la perspective des Jeux Olympiques, nous affirmons l’importance du maintien et de la valorisation des festivals et festivités locales, témoins de notre richesse culturelle. Ces événements sont le cœur battant de nos communautés, et nous veillerons à ce qu’ils continuent de rayonner durant cet événement mondial auprès de nos centaines de milliers de visiteurs. Nous sommes toutefois préoccupés par l’impact direct des JOP sur le secteur du spectacle vivant : la non-programmation ou la délocalisation de concerts du fait de l’indisponibilité des grands équipements, les festivals annulés, réduits, décalés ou délocalisés, et les contraintes imposées aux salles de spectacles, particulièrement dans Paris intra-muros, sont des défis majeurs. Au-delà de ces défis directs, le secteur sera également impacté de manière indirecte par une concurrence accrue à l’automne 2024, un assèchement des recettes de sponsoring, ainsi qu’une augmentation des coûts et des pénuries de personnel et de matériel.
La majorité de ces impacts ne pourront être chiffrés qu’a posteriori, mais la seule indisponibilité des grands équipements va entraîner des pertes de recettes de billetterie évaluées à 150 millions d’euros, soit 13 % des recettes totales du secteur en 2022. Nous serons donc vigilants à ce que les lieux et festivals impactés soient indemnisés pour ne pas se retrouver en difficulté. Il est crucial que ces Jeux soient une opportunité pour tous les acteurs de notre pays et non un risque mettant en jeu l’existence même de ces acteurs.
Autre motif d’inquiétude : alors que le streaming musical légal est né en France, le taux de pénétration de l’abonnement demeure particulièrement bas dans notre pays, à un niveau très inférieur à celui des autres grands marchés de la musique à travers le monde. Le développement des offres de musique en ligne doit donc être soutenu, notamment par leur intégration sans délai au Pass culture. Cet outil d’incitation aux pratiques culturelles du jeune public ne doit plus tourner le dos à la musique enregistrée.
A défaut de pouvoir corriger à brève échéance l’iniquité fiscale qui frappe la musique enregistrée, parmi les seuls biens culturels à être soumis à un taux plein de TVA, l’adaptation des contours du Pass culture à notre industrie est plus que jamais nécessaire.
En outre, la filière musicale a besoin de soutiens forts et engagés. Dans le cadre du PLF 2024, le gouvernement a notamment fait le choix de prolonger 3 crédits d’impôts ; ce renforcement est vital pour soutenir la filière musicale et stimuler l’innovation.
D’autres enjeux législatifs ou réglementaires sont devant nous cette année :
Le lancement des consultations dans le cadre du renouvellement, en 2025, des fréquences TNT, dont celle de W9, NRJ12 ou CStar… doit permettre de renforcer la place de la musique dans les futures obligations des chaînes qui seront sélectionnées
Madame la Ministre, vous avez par ailleurs évoqué début février le chantier d’une BBC à la française… Nous, acteurs de la musique, défendons un audiovisuel fort, au financement pérenne et garanti, qui joue tout son rôle dans l’exposition de toute la diversité musicale qui fait la richesse de notre pays.
– Quant aux élections européennes en juin, elles sont d’une importance démocratique majeure, avec des directives qui auront un impact sur l’ensemble de nos métiers. Il est ainsi essentiel de pouvoir porter nos enjeux au niveau Européen, et de préserver cet espace de dialogue si utile avec nos voisins.
Enfin, et j’en terminerai par-là, je souhaite rappeler que notre vigilance reste plus que jamais de mise face à tous les risques d’entrave à la liberté de création. Face à toutes celles et tous ceux qui estiment pouvoir dicter une loi morale ou religieuse pour empêcher les créateurs de s’exprimer, la musique, tout comme l’Art, doit rester un espace de liberté, d’expression et de diversité, où chaque voix peut se faire entendre sans crainte de censure ou de restriction.
En conclusion, ce soir, nous réaffirmons fermement notre engagement collectif en faveur d’une filière musicale plus forte, plus unie et plus responsable.
Nous sommes résolus à travailler avec vous Madame la Ministre, avec le Gouvernement, le Parlement, les acteurs culturels, et la société civile pour faire avancer la musique et la culture en France et en Europe. Nous croyons en un avenir où la musique continuera de rassembler, inspirer et enrichir la vie de toutes et tous. Merci de nous accompagner dans cette mission essentielle pour notre pays et pour le monde de la musique.
Et maintenant place aux Victoires, place à la musique et place aux Artistes !